mercredi 11 février 2015

Faire un ami de son ennemi...

Sur la route, vers le physio puis l'hosto, je discute avec Miss Soleil de la douleur.

Alors que je cheminerai en cette voie, elle ira jouer avec son cousin de cœur et se divertir chez nos amis.

En chemin, elle me rappelle que je ne dois pas oublier de parler à la douleur pour lui demander d'être gentille avec moi.

Un concept que je n'adore pas mais qu'elle a capté lors d'une conférence à laquelle elle m'a accompagnée l’année dernière.

 Je lui explique ce nouveau concept sur lequel je travaille, celui "d'apprendre à vivre avec" la douleur constante.

Elle réfléchit et me sort:

 - Mais maman, c'est super difficile, c'est comme essayer d'être amie avec ton ennemie! 

Et bang! Elle met le doigt sur pourquoi c'est si difficile. Dans le mille. Elle a tout à fait raison. Accepter la douleur chronique, c'est accepter l'ennemi en sa vie. C'est accepter de vivre avec le mal sans lui en vouloir constamment. Sans le détester continuellement.

Enfin c'est sûrement pas plus difficile que celui de lui parler gentiment. Ceci dit la pertinence de sa réponse me frappe de plein fouet pour se graver en ma conscience.

Un matin pas comme les autres (de ceux qui font dérailler le quotidien)

Il y a quatre ans, un matin de février, je me suis réveillée avec une moitié de visage paralysé et une douleur montante. Depuis quatre ans, je vis l'enfer. Mon propre enfer. Celui dans lequel m’entraîne mon visage blessé.

Le coté gauche de mon visage a retrouvé sa mobilité et quelques syncinésies en bonus. La douleur qui a monté un matin pour m'exploser la face n'est toujours pas repartie. Elle s'est installée en ma face pour mon malheur quotidien.

Depuis plus de 1460 matins, en même temps que j'ouvre les yeux, la douleur me dit salut. Même engourdie par une nuit de morphine, elle est assez présente pour que je n'aie aucune chance de l'oublier.

Omniprésente, elle dessine un défi permanent. Chaque matin, j'affronte une nouvelle journée avec un visage coupé en deux et une symphonie de symptômes névralgiques et neuropathiques que cela entraîne. Chaque matin, je dois gérer cette douleur qui accompagne le réveil...

Les séquelles de ma paralysie faciale sont invisibles mais bien réels. Le virus, logé dans le nerf facial, a dégradé ledit nerf qui n'en finit plus de s'exprimer, palpiter, s'enflammer, tirailler, court-circuiter...

Les complications de la dégradation du nerf s'ajoutent aux séquelles de ma duremère cicatrisée au niveau des cervicales et il semble désormais que ce tout affecte le bon fonctionnement de la mâchoire.

Prochaine étape médicale, passer une autre résonance magnétique et aviser du cours des traitements selon les résultats.

Accepter ce que l'on ne peut changer

Dans tous les cas de figure, mon nerf endommagé par ce virus ne se réparera pas par miracle. Croire que je me réveillerai un matin sans avoir le visage coupé en deux est une ineptie. Peut-être qu'à force, au bout de plusieurs années, mon nerf facial me laissera en paix. Peut-être...

Mais cela n'arrivera pas d'un coup de baguette magique. Au bout de quatre ans, je commence à m'en faire une raison. Je ne me réveillerai pas un matin magique, la face entière, comme ce soir de février 2011 où je me suis endormie sans savoir ce qui m'attendrait le lendemain matin.

Maintenant, chaque matin, je sais ce qui m'attend et ce n'est jamais réjouissant. De toute évidence, je ne me réveillerai plus de sitôt sans ressentir les multiples douleurs faciales qui m'assaillent la chair sans répit.

Quatre ans de morphine dans le sang et autant d'années il me restera à souffrir, autant d'années je devrais en prendre. Sans jamais en ressentir aucun plaisir. Pour juste obtenir un soulagement partiel qui me permet de contrôler le cri primal intérieur engendré par l'intense douleur faciale née de ce nerf dégradé.

Que je le veuille ou non, je n'ai pas le choix d'apprendre à vivre avec. J'en suis rendue là. À devoir accepter l'intolérable. Vu que je ne peux y échapper, refuser d'apprendre à vivre avec équivaut à accepter de se laisser miner par ce malheur.

Depuis que je réalise ce non-choix, j'accroche tous ces exemples où vient s'ajouter cette petite phrase: "Apprendre à vivre avec". Il y a toutes sortes de circonstances où cette petite phrase entre en action. Et ce ne sont jamais d'heureuses circonstances...

Première étape: Accepter son sort

Matin après matin, accepter que c'est désormais ça la vie. Une vie enrobée de douleurs. Une tâche complexe sachant que la douleur chronique est contre-nature et contre-intuitive. Cependant à quoi bon refuser ce que l'on ne peut changer?

Est-ce qu'un amputé refuse son cas et ne fait que rêver de voir repousser son membre disparu? S'il le fait, il risque de se faire rapidement aspirer par la folie. S'il veut continuer de vivre, avec un esprit sain, il doit apprendre à vivre avec. Et avec un peu de malchance, il devra aussi apprendre à vivre avec des douleurs neurogènes.

Mais attention, accepter la douleur chronique ne veut pas dire se résigner! Accepter ne veut pas dire capituler ou baisser les bras. Au contraire, accepter, c'est prendre son courage à deux mains et affronter. C'est être conscient de son sort et décider d'avancer malgré la difficulté de celui-ci.

Accepter, en mes sens, c'est mettre un pas devant l'autre et avancer, matin après matin. Accepter, c'est refuser de reculer, de dépérir moralement.

Accepter, c'est utiliser tous les outils possibles pour lutter. Accepter, c'est prendre tous les moyens pour surmonter la douleur physique et son impact psychologique.

Accepter, c'est se relever les manches et se demander comment avancer. Si je dois avancer avec un visage coupé en deux, alors, au bout de quatre ans, je réalise que je n'ai vraiment pas le choix d'apprendre à vivre avec. Et c'est loin d’être simple!

Apprendre à vivre avec que l'on ne veut pas vivre. La puce a sûrement raison, si je veux réellement apprendre à vivre avec, je dois apprendre à lui parler gentiment puisque je ne peux vivre avec personne sans dialoguer.

Et même si dialoguer avec un ennemi n'est pas de tout repos, c'est toujours mieux que de se laisser mourir à petit feu.

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