jeudi 22 janvier 2015

Sourire malgré tout...


Après une semaine comme la dernière, reprendre ses esprits. La douleur atténuée permet de recommencer à vivre normalement mais il y a cette peur viscérale qui persiste. Et quand une douleur, ma foi supportable, te réveille en pleine nuit, c'est la peur qu'il faut d'abord gérer.

Ce que j'apprends de la douleur au quotidien, c'est combien elle génère de ces émotions qu'il faut gérer pour ne pas y perdre la tête. Ce que j'apprends de la méditation,  c'est qu'elle permet de calmer ces émotions particulières et de retrouver celles qui sont étouffées par celles que la douleur fomentent.

Je ne médite pas assez. L'hiver ne m'est pas propice à la méditation. Autant méditer en plein air m'est facile autant méditer entre quatre murs m'est compliqué! Pis méditer par -30 n'est pas recommandé. Sûrement que cela fait partie du processus de mutation intérieure.

Une mutation tout aussi invisible que ces douleurs faciales constantes. Une invisibilité qui ne cesse de me fasciner quand vient le temps de sourire et de socialiser.

J'imagine que je dois être reconnaissante de pouvoir passer inaperçue. S'il fallait que je sois aussi visuellement défigurée que les douleurs peuvent me le faire ressentir de l'intérieur, je ferais sûrement aussi peur que celle que je ressens au creux de la nuit.

Je crois que c'est pour cela que je souris quand je suis avec d'autres. L'expérience de perdre l'habileté de sourire durant plusieurs mois a été celle qui m'a le plus marquée lorsque s'est figée la moitié de mon visage. J'en ai pleuré des torrents.

Et je ne suis jurée que si un jour mon visage me redonnerait la possibilité de sourire alors je n'en oublierais pas de le faire dès que l'occasion se présenterait.

mardi 20 janvier 2015

Semaine après semaine...


15 janvier 2015

La douleur de fond qui me coupe le visage en deux est une chose, les manifestations de douleur générées par ce nerf facial endommagé en sont une autre. Ce sont elles qui me traumatisent la cervelle.

Hier, en ramenant la puce à l'école sur l'heure du midi, je sens pointer l'une de ces manifestions honnies. Le temps d'arriver chez moi, d'avaler ma dose de morphine et c'est parti.

Toutes les 4 heures avale ta pilule la mère! Je sais que c'est trop tard. La dose de morphine habituelle n'y fera rien. Serait-ce autrement si j'avais devancé la marée haute de douleur d'une heure en avalant la pilule plus tôt? Peut-être ben que oui, peut-être ben que non...

Un fil invisible a eu la méchante idée de s'enrouler autour de mon globe oculaire et une main invisible, cruelle salope, s'amuse à le tirer avec l'idée déterminée de l'arracher.

La douleur engendrée par cette sensation se réverbère jusqu'au fin fond du cerveau. Shit! Je ferai pas ce que je voulais faire aujourd'hui. Shit! Impossible de se concentrer avec un œil qui se fait arracher par une main invisible. Fuck!

Rien n'y fera que d'endurer. Au bout de 4 ans je suis rodée. Si la douleur est incontrôlable il ne reste plus qu'à contrôler humeur et pensées.

"Prendre ça cool". Ne pas frustrer. Se reposer. Ramasser ses miettes de force pour faire bonne figure lorsque la puce rentrera de l'école. Prendre ça cool pour ne pas empirer son cas. Mère en mode contrôle intensif.

Objectif : Être capable de sourire et d'écouter la Miss à son retour de l'école. Trouver la force de faire les devoirs. Ne pas flancher. Se surpasser. C'est la soirée hebdomadaire de volley de l'homme. Il ne rentrera qu'après le coucher de l'enfant.

Se raccrocher au fait qu'on ira souper chez une amie et que je n'aurais pas à me soucier de la bouffe du soir. Deux heures à "prendre ça cool" pour pas y perdre la tête, avec un globe oculaire qui essaie de sortir de son orbite!

Maudites hormones mensuelles qui font le party avec la douleur neuropathique. Pas facile de méditer sur cette manifestation-ci. Se concentrer ou essayer de courir avec une jambe dans le plâtre? Même combat!

Contrôler chaque pensée pour maîtriser l'humeur prête à dérailler. Fuck la marde! Combattre. Sourire au retour de l'enfant. Lui expliquer que la douleur est forte. Réussir à faire les devoirs sans anicroche. Endurer endurcit. Savoir que la kiné aidera à la cause le lendemain. Passer au travers pour la énième fois.

Le lendemain...

Après morphine et sommeil, l’œil se réveille un peu moins tiraillé. Même si c'est pas gagné, c'est un peu comme retrouver un - 12 après un -40, la douleur en parait presque douce...

Après un traitement de kiné, la manifestation du jour se déroule autour de l'oreille. Sortir de là avec une subtile nausée. Un p'tit clou dans la joue. Un fond de rage de dents. Un zeste de migraine. Un œil qui tire encore mais moins. Un cou pas content. Une p'tite otite avec ça?

Enfin, il est pas mal plus facile de se concentrer en se faisant arracher une oreille plutôt qu'un œil! Avec une face continuellement coupée en deux, on trouve son bonheur là où on peut...

Ceci dit, si à cet instant précis, je rencontre l'inconnu de service au coin de la rue. Je lui sourirai tout en essayant de passer subtilement mon chemin. Mais s'il me dit:

- Hé salut, comment ça va? 

Une voix intérieure emplie de colère aura envie de lui arracher la tête. Calme toi la mère. Oublie à quel point cette question t'énerve. Formule de politesse conne et absurde que parfois tu oses toi-même lancer. Il n'est pour rien dans ta misère du jour.

Avale tes émotions, contrôle ton humeur. Marmonne un "ça va" et change le plus rapidement possible de sujet.

Histoire de ne pas te transformer en furie démente...



20 janvier 2015

Revenir de la semaine dernière avec cette sensation de revenir du front. En pleine bataille. En guerre invisible.

Le combo "grand frette et hormones mensuelles" ont mis la moitié de mon visage blessé à feu et à sang. 3 jours sur 7 à grimper à 9 sur 10 sur l'échelle des douleurs. De quoi se tirer une balle si l'enfance innocente n'était pas là pour rappeler à la vie. L'amour de l'homme pour donner la force de lutter.

Augmenter les doses de morphine pour survivre à la violence de la douleur en pleine action. S'appuyer sur la cortisone comme si c'était une béquille qui permet de ne pas tomber.

Entre un œil arraché, un quart de cerveau nécrosé et une myriade de symptômes tous aussi intenses les uns que les autres, le mental traumatise dans l'invisible de ses maux...

De quoi dépiter la physio qui désengorge l'œil enflé, étire les tissus enflammés, oxygène la chair meurtrie et fait de son mieux pour réparer les dégâts de cette semaine destructrice.

Elle espère que la prochaine résonance magnétique révélera que la séquelle de la séquelle de la séquelle génère une dégénérescence osseuse de la mâchoire. Ce qui permettrait de mettre en place une opération spécifique pour aider la mâchoire à rester en place. Que du fun en perspective!

Et d'ici là, ne pas lâcher, contrôler ce flux d'émotions traumatisées par quatre années de douleurs faciales en tout genre, sans répit. Méditer quotidiennement. S'électrostimuler souvent. S'opioïder en traitement de fond. Se cortisoner au besoin. Trouver la force de sourire. Avancer pour ne pas reculer.

Qu'on ne me parle pas de courage, je n'en manque pas. Qu'on me parle d'espoir, denrée plus rare après une telle semaine...


mardi 13 janvier 2015

Une semaine à la fois...

Et voilà 2015 qui débute avec le bain de sang de Charlie Hebdo et un mouvement de solidarité sans précédent.



En ma brousse, ultra congelée, l'année commence avec mon anniversaire et son lot de bilans, défis, résolutions, directions... et la douleur. Inlassable douleur faciale...

Et puis il y a ce froid extrême qui vient tuer l'une de nos deux voitures. De ces soucis quotidiens qui se foutent de savoir si ça fait mal ou pas! Comment ça fait mal. Où ça fait mal. Une nouvelle année s'enclenche. Ainsi va la vie!

Cet automne, j'ai accepté l'infernal rythme de la physiothérapie/kiné intensive. Ce fut très difficile. En trois mois, j'ai cependant gagné un confort de visage inégalé depuis ma paralysie faciale. Une mini victoire. Et une bonne pratique de méditation!

J'ai alors pu, en ce processus intensif, diminuer les opiacés. Réouvrir l'oeil correctement, avoir moins de syncinésies douloureuses, moins de migraines. J'ai médité. J'ai repris espoir.

Depuis deux mois j'ai retrouvé un rythme modéré de physio/kiné et les progrès gagnés se sont peu à peu estompés. J'ai dû réaugmenter les opiacés. Syncinésies et migraines sont revenues. Avec les fêtes, j'ai eu un faible rythme de physio/kiné et c'est comme repartir à zéro.

Le grand froid contribue à l'intensité douloureuse. Je pourrais augmenter encore les opiacés mais à quoi bon? Je résiste à devenir un cobaye ou un légume.

Lundi

Aujourd'hui ma kiné en quelques douloureuses manipulations soulagera de nouveau les multiples tensions et compressions qui font d'une moitié du visage un enfer. Cela fera très mal. Cela me donnera sûrement une bonne nausée.

Ensuite après avoir assumé le choc du traitement, cela ira mieux. Mon oeil sera moins myope. Cela durera un temps seulement. Le temps que cela durera me rappelera à la vie.

Manipulations et opiacés sont à la base de la gestion de ces douleurs constantes. Mon homme veut que j'essaie des opiacés plus forts, histoire de voir si je ne pourrais pas descendre plus souvent sous la barre du 5/10 sur l'échelle de douleur. Après 4 ans en continu de douleurs faciales entre 4 et 9, usée par la douleur faciale je suis. Je ne manque pas de courage mais l'espoir me fuit.

Aucun physio/kiné n'emménagera avec moi pour me traiter matin et soir. Aucune pilule n'est magique. Prisonnière d'une impasse médicale, je cherche une voie de sortie...

Commencer la semaine de rentrée 2015 en me faisant remettre la machoire en place et sentir enfin l’œil décrisper. Arriver chez ma kiné avec une moitié de face en mode bloc de ciment souffrant. De ces jours là où narine et oeil bougent de concert.

Ça fait un mal de chien pendant le traitement mais c'est pour la bonne cause. Soulagement facial général. L'impression d'avoir une moitié de visage dans une peau rétrécie diminue. Les tissus s'assouplissent

Repartir moins myope mais plus nauséeuse. Y'a rien comme se faire triturer des points douloureux pour se retourner l'estomac! Dans un mois, cela fera 4 ans que ma face est coupée en deux...

Mercredi 

La tuerie de Charlie Hebdo bouleverse le monde civilisé. On a tué Cabu! Je regarde l'onde de choc traverser nos populations via les réseaux sociaux. Mon cerveau bouillonne. Je me questionne. 

Mais le soir venu, ce n'est pas dans la rue qu'on ira se recueillir mais à l'hôpital. Au groupe mensuel de l'association de la douleur chronique...

Pour commencer la rencontre: mini topo sur les opiacés. 85 décès par année via opiacés sur prescription au Canada. À savoir si c'est accidentel ou délibéré serait la bonne question...

Chez les hommes surtout, les opiacés diminueraient la libido. Mouais. Sauf lorsqu'elle atténue suffisamment la douleur pour redonner le goût de s'envoyer en l'air. La douleur tue pas mal plus la libido que les opiacés! Ne pas oublier qu'une personne avec de la douleur qui prend des opiacés n'aura jamais les mêmes effets physiologiques que ceux qui en prennent sans douleurs physiques. 

Comparer une personne sans douleur physique sous opiacés et une personne en douleur physique sous opiacés, c'est comme comparer des torchons et des serviettes!

Aller en couple au groupe d'entraide et participer aux discussions qui explorent les problématiques de la vie de couple dans la douleur chronique. Une soirée intéressante en cette misère invisible.

Y'a rien comme aller à ce genre de groupe pour réaliser combien on est tous humains! Tous dans le même bateau. Et c'est dans les différences des participants que se reflète toute la richesse humaine..

Vendredi 

Reprendre mes bonnes habitudes de gestion de douleurs chroniques. La myopie est de retour. Une nouvelle séance de physio à l'horizon. Tout aussi douloureuse que celle de lundi. En un genre différent avec des mains différentes...

Passer la moitié de la séance à se faire "dégager l'oeil". C'est bloqué, enflé, comprimé, enflammé. Ressortir du physio moins myope qu'en y arrivant. Nauséeuse. Avec des vertiges et subtilement désorientée. La physio aura encore une fois travaillé fort sur mon cas!

Ma moitié de face décongestionne enfin, les tissus se réoxygènent. Ce coté endommagé désenflamme. La douleur de fond est moins violente. Quand même bien dépitée de cette face qui veut ma peau!

D'ici samedi, j'aurai accusé le choc du traitement et j'en ressentirai les bienfaits. La douleur ne disparaîtra pas mais elle sera plus tolérable. La gestion médicamenteuse et psychologique feront le reste. D'ici trois jours, ce sera à recommencer. Welcome into my life! 

Si j'écris ici et là sur cette condition invisible, j'en parle peu au réel. Je n'en parle qu'avec ceux qui me sont proches. Je réalise qu'il m'est plus facile d'écrire que d'en parler.

Lorsque je prends la peine de côtoyer du monde au réel alors je fais mon possible pour que ce problème ne plombe pas l'ambiance générale. Je ne cache pas ma condition mais je la maîtrise. Autant que possible.

En 2015, lorsque je passerai du temps au réel avec les autres, j'avalerai ma peine jusqu'à en avoir la nausée, je sourirai dans la douleur et j'essayerai même d'être légère. Le plus possible...


Dimanche

On regarde la nouvelle chanson de Tryo sur YouTube avec Miss Soleil qui me demande:

- Mais pourquoi on les as tués encore? 
- Parce-qu'ils faisaient des dessins... 
- Mais c'est pas rapport!?! C'est n'importe quoi. 
- Je sais... 
- Des dessins, c'est pas pour de vrai C'est juste pour s'amuser! Ils sont tous morts en même temps? C'est quoi la barbarie maman? Y'a plus de journal, y'a plus de Charlie? Charlie Hebdo aussi il est mort? Qu'est-ce qu'elle a fait la France? Ça veut dire que Charlie il vit encore? 

Une forte émotion m'enserre la gorge, j'étouffe un sanglot tandis que mes yeux se mouillent. La Miss est partie dans un flot de questions toutes plus pertinentes les unes que les autres. Une larme coule. Puis un ruisseau. L'enfant me regarde d'un air étonné. Je luis souris et j'essaie de lui répondre en retenant l'émotion qui me noue la voix.

Aujourd'hui avec Miss Soleil, on chante. On apprend par cœur la nouvelle toune de Tryo que l'on écoute en boucle!

En fredonnant: "On va rire et écrire Charlie... Au milieu du vacarme, du djihad et des armes, il reste la culture, l'humour et la nature..."