jeudi 5 novembre 2015

Fonctionner sans que rien n'y paraisse...

Fonctionner en douleur constante est un processus. Un processus dans lequel je suis consciemment engagée depuis plus d'un an.

Après plus de trois ans de fortes douleurs quotidiennes, j'ai décidé qu'il était temps de mieux apprendre à vivre avec ma condition médicale. Je commence à en voir émerger certains résultats.

La douleur neuropathique faciale, et ses différents symptômes, accompagnent mon quotidien depuis ma paralysie faciale. J'essaie maintenant de lui faire une place en même temps que j'essaie d'y retrouver ma place.

La semaine dernière, j'ai été invitée à un voyage de presse en Jamaïque. Cela ne se refuse pas! Ceci dit, un voyage de presse peut être aussi incompréhensible au commun des mortels que la douleur chronique. Ce n'est pas ce qu'il y parait.

Ce n'est pas des vacances. C'est un marathon. C'est cinq jours de course. C'est une tranche de vie en accéléré où l'on travaille en de bonnes conditions. C'est une demi douzaine de journalistes en vadrouille. C'est de l'aventure en boite. Pour moi qui vit ma vie au ralenti, cela participe à un certain équilibre intérieur.

En voyage de presse, je suis patiente, prudente et extrêmement disciplinée côté médication. Je sais que je dois être en contrôle total de la douleur. Je sais que je prends certains risques. Je voyage avec ma pharmacie d'opiacés et de cortisone (entre autres pilules pour bien faire). J'y ajoute une dose de méditation et j'inspire.

Comme j'ai eu, sur celui là, l'occasion de référer une amie journaliste, ce fut une rare occasion de voyager en ces conditions avec quelqu'un qui me connaissait avant ma paralysie faciale et ses conséquences sur ma vie. Une occasion de se reconnecter.

J'inspire le voyage malgré ma moitié de visage déchiqueté, les migraines et les nausées qui l'enrobent. Je réalise du coup que je ne me plains de rien de ce que je ressens. Alors que mes compères subissent les malaises habituels de type nausées et migraines, de mon côté je ne fais que gérer les miens. Je constate alors la force mentale acquise à vivre en douleur permanente depuis bientôt cinq ans.

Je réalise toute la portée de mon contrôle intérieur lorsque j'aide mon amie (qui a mal digéré un petit dej au poisson trop salé) à traverser une nausée temporaire. Je l'accueille en mon monde invisible, je lui partage mes pilules de gingembre, et je la soutiens moralement le temps qu'elle en traverse le malaise passager. Elle en sort sur l'heure du midi alors que j'y reste, comme d'hab...

Vue sur les Blue Mountains en Jamaïque

Ce que j'apprécie sous les Tropiques, c'est comment la chaleur et l'humidité font du bien à mon nerf facial dégradé. Il se détend un peu. Les douleurs qu'il engendre ne s'effacent point mais semblent un peu s'adoucir. Je ne vis pas dans le bon pays en ce qui le concerne.

De retour à la maison, mentalement régénérée, j'accepte sans broncher les douleurs physiques, les nausées et les fatigues accentuées par mes pérégrinations tropicales. Je les gère. Comme d'hab. C'est le prix à payer pour avoir eu l'impunité de vivre un coup comme les autres. Chiro et physio participent ensuite à me remettre la face en place.

À la fin de ce court voyage, je mentionne à mon amie que je suis fière de moi car mon handicap invisible n'a pas paru. Elle hausse un sourcil et ne peut s'empêcher de me dire:

- Mais tu l'as senti tout le temps? 
- Ouais, y'a pas un moment sans... 
- Hummm, faut vraiment le vivre pour le comprendre... 
- Mais j'ai bien fait ça non? Ça n'a dérangé personne? 
- Vraiment pas! Tu es bonne... 
- Mais c'est pour cela que j'ai besoin d'en parler de temps en temps sinon je finis trop par me sentir fake. C'est dur de réconcilier comment je me sens physiquement, ce que je vis intérieurement et comment je peux ne rien y laisser paraître de l'extérieur. 
- Je comprends... 

Et à ce moment là, à l'aéroport de Kingston, sa compréhension était tout ce dont j'ai besoin pour ne pas me sentir trop seule sur mon île de douleur chronique. Juste cela me soutient moralement. Juste cela suffit à me donner le courage de ne pas hurler les frustrations multiples causées par la douleur chronique.

Je suis toujours fascinée par combien peu comprennent le pouvoir de la compréhension en douleur chronique. En ce qui me concerne, il n'y a rien de plus réconfortant moralement qu'une simple et réelle compréhension humaine de ce que je vis au quotidien. Ma douleur est mienne. Personne n'y peut rien. Je suis seule à la vivre et à la ressentir. Du matin au soir. Heure après heure.

Je suis seule à pouvoir la traiter et la gérer. J'en ai la responsabilité. Cultiver les bonnes attitudes est important en ce cheminement. Il y a évidement les experts médicaux qui en accompagnent le processus mais leur compréhension de mon cas est fondée sur leurs connaissances médicales. Elle n'a pas la même portée même si elle est aussi importante au processus...

La maison musée de Bob Marley à Kingston en Jamaïque

Ce qui ajoute à la difficulté mentale de la douleur chronique, c'est l'incompréhension du commun des mortels. Celui qui n'a aucune idée que la douleur physique n'est pas obligatoirement temporaire. Ceux qui par leurs remarques inconscientes blessent profondément celui qui vit sa vie en douleur chronique.

Et c'est ainsi que le silence se fait roi sur cette condition particulière. Une condition invisible. Incompréhensible. Surréaliste. Mais je refuse ce silence. Tout comme je refuse les comportements maladifs. Je gère et j'en discute. Cela fait partie de mon processus intérieur pour apprendre à vivre avec...

En mes différents efforts pour briser l'isolement dans lequel entraîne la réalité de la douleur chronique, j'anime un groupe virtuel de mieux-être en douleur. J'y brouillonne souvent là-bas les idées qui viennent ici se poser...

De cuillère en cuillère...

Six mois que je n'ai pas écrit ici. Six mois où j'ai écrit en ce groupe Facebook que j'ai fondé afin de démystifier la douleur chronique et de la regarder sous un autre jour que celui des complaintes sans fin. J'y partage ainsi mon cheminement en douleur chronique sans trouver l'énergie de transférer mes textes ici. Ce à quoi, je compte remédier en les prochains mois...

C'est que l'énergie me manque cruellement sur une base quotidienne. Même boostée chimiquement, elle reste malingre. Je dois la couver chaque jour pour fonctionner "normalement". Et ce n'est jamais gagné...

Parfois, lorsque je me donne des défis particuliers, je prends des cuillères à crédit. Ensuite, j'assume le crash qui est le prix à payer sur le crédit avancé. Mais d'une façon générale, j'essaie de gérer au mieux mes cuillères pour avancer en ma vie...

"Pensez à votre niveau d’énergie comme à un compte de banque. Lorsque vos dépenses d’énergie sont plus élevées que vos dépôts, il en résulte une fatigue importante. 

La douleur est comme une dépense continue – elle draine constamment votre compte. L’énergie que vous dépensez à faire face à la douleur et les efforts additionnels que vous réalisez pour accomplir vos tâches quotidiennes constituent d’autres retraits de votre banque énergétique. 

La dépression, la colère et le stress vous coûtent de l’énergie. Plusieurs retraits d’énergie sont effectués chaque jour. " Source

En douleur chronique, la fatigue est une autre plaie invisible à gérer. Il faut savoir ce que c'est d'avoir mal sur une durée prolongée pour s'en rendre compte. Pour en prendre conscience.

La fatigue générée par la douleur chronique est encore un de ses aspects qui m'apporte le plus de frustrations. Celui qui me fait sentir si diminuée. J'ai encore bien du mal à l'accepter...

Accepter ces journées où après avoir été "en forme". Avoir fait les efforts nécessaires pour être "normale", mon corps m'assomme pour m'en remercier. Comme une masse. Et je tombe. Comme une masse. Ces journées de #$%&^$# où le corps refait ses cuillères...

Lorsque j'ai entendu parler de la théorie des cuillères pour la première fois, dans une rencontre du groupe d'entraide de l'association québécoise de la douleur chronique, j'ai été intriguée. J'ai trouvé le texte facilement avec Google...

Sa lecture m'a rassurée, je me suis sentie un peu moins seule en ma galère. Plus "normale" que ne me le faisait croire mes pensées égarées. Écrit en anglais par une femme qui souffre d'une maladie chronique, elle y explique cette théorie qu'elle a développée pour essayer de mieux faire comprendre sa réalité.

Ce texte m'a aidé à réaliser que j'étais normale. Il m'a aussi aidé à accepter ce stimulant en mon cocktail médicamenteux quotidien. Mais même si je sais combien la fatigue est une compagne silencieuse de la douleur chronique, même si j'apprends à la respecter avec les années, j'en ressens toujours la frustration lorsque je suis à court de cuillères.

Je travaille le pacing pour mieux gérer mes cuillères mais comme me l'a expliqué le psy à la clinique de douleur, il restera toujours ces jours où je devrais accepter l'inévitable, le #$% $*#% de crash

L'idée étant d'atténuer les crashs avec une autogestion de fond et de les traverser avec philosophie. Évidement, juste ça demande un certain cheminement. Accepter que ma vie est régulièrement amputée de ces temps où la machine refait son stock de cuillères. Sans en faire un plat ni un drame. En restant patient et conscient de son sort. Bref, le travail d'une vie!

Ce qui est me frappe le plus souvent en ce cheminement, c'est combien ce que l'on y apprend est humain. La douleur chronique est un chemin de qualité pour approfondir son humanité et sa sagesse intérieure. En fait, la douleur chronique offre deux chemins. Celui du désespoir et de l'amertume ou celui de la profondeur et de la compréhension.

Parfois les deux se croisent et l'on peut facilement s'y égarer. Surtout si l'on suit celui qui creuse pour mieux comprendre. Car celui-ci semble ponctué de raccourcis pour retrouver celui qui avale l'esprit tout cru!

Être bien entourée aide à ne pas trop s'égarer. Et avoir en son entourage proche, des personnes capables de comprendre la théorie des cuillères fait toute la différence...