lundi 13 avril 2015

Marcher sur une frontière médicamenteuse


La douleur chronique, c'est une suite d'incertitudes. À chaque jour son lot d'incertitudes à gérer. Comment réagira la douleur aujourd'hui, quelle seront les façons pour la gérer afin qu'elle ne s'échappe pas. Me laissera-t-elle vivre ou m'écrasera-t'elle?

Depuis cet été,  je sais que mon cocktail médicamenteux n'est pas le meilleur. Je sous-médicamente. Consciemment, inconsciemment,  je ne sais pas. Je sais que j'étudie cette subtile frontière entre douleurs, soulagements et effets secondaires. Pour l'instant c'est la douleur qui gagne et qui m'use.

Je l'étouffe quotidiennement avec deux  type d'opiacés, un avec une action long terme et des interdoses à action court terme. Ce n'est pas la solution idéale. Je le sais. Cela me fait me sous-médicamenter et cela me rend plus sensible aux caprices de ce nerf facial déjanté. Mais j'ai peu d'effets secondaires...

L'objectif, selon par la doc en chef, est de passer au long terme. Tout court. Comme si c’était si simple! Pour commencer, il faut accepter que cette condition s'inscrit maintenant dans le long terme.

Simple à dire. Plus compliqué à faire. Car ce n'est pas elle qui doit en subir les effets secondaires! Mais ce n'est pas non plus elle qui a mal...

Quatrième printemps avec une moitié de visage en enfer

Ce quatrième printemps en la vie de mon nerf facial blessé est instructif. J'en reconnais l'habitude destructive du changement de saison. La bonne nouvelle c'est que vu comment cela dégénère, cela veut dire que l'hiver est mort. Une nouvelle saison reprend vie.

Tout comme j'ai appris à craindre l'hiver est ses grands froids, j'apprends à craindre les changements de saison synonyme de paroxysme naturel. Cela doit être aussi chimique et inexplicable en nos sciences présentes que la magie du baromètre d'huile de foie de requin. C'est. Tout simplement.

En ce quatrième printemps à endurer des douleurs neuropathiques intenses, je trouve enfin le courage d'augmenter mon dosage de morphine. En version longue. Il faut dire que cela fait si mal que je suis à deux doigts d'aller à l’hôpital supplier une injection de morphine. Seul mon orgueil m'en empêche. Et l'habitude d'avoir très mal.

Plutôt que de me retrouver à l’hôpital, je décide donc d'essayer ce nouveau dosage. Le pire qui peut m'arriver est de vomir ma vie, m'explique la gentille pharmacienne. "Et ce n'est pas comme si cela ne t'était pas arrivé des dizaines de fois dans les quatre dernières années", me chuchote cette petite voix sage au creux de mes pensées.

Je suis cataloguée bonne élève à la clinique de la douleur mais je suis aussi fichée réfractaire à la médication. Ce qui je trouve est un peu exagéré vu le nombres de pilules que j'avale depuis 4 ans. Je ne suis pas réfractaire aux médicaments, je suis réfractaire aux effets secondaires. Nuance.

Je n'apprécie pas le concept d'être un cobaye. Même si je réalise que je dois être l'experte de ma condition, je suis encore en cheminement, mon expertise s'approfondit mais je ne me sens pas encore en contrôle absolu.

Ces effets secondaires qui provoquent une multitude de malaises, je ne les aime pas. Point. Je suis capable de supporter de grandes douleurs pour en éviter les affres. Je sais. Tout comme je sais ce que c'est de vomir de douleur. De vomir sa vie parce-que le corps n'arrive plus à supporter la torture physique que lui inflige mon nerf facial.

Encore une fois mon corps me trahit. Il en supporte moins que moi. Et les médicaments me trahissent avec leurs effets secondaires indésirables.

Ce fragile équilibre entre soulagement et effets secondaires indésirables

Le défi est donc de trouver là au milieu, un certain équilibre entre douleurs, soulagements et effets secondaires. Un défi que connait toute personne vivant avec ce dilemme...

Cette fin de semaine, alors que transite la saison et que mes interdoses se révèlent aussi efficaces que du pipi de chat, je trouve le courage de tester le nouveau dosage. Un dosage plus fort de morphine longue. Dans la foulée, je peux arrêter les interdoses...

Je parle avec deux pharmaciennes différentes, toutes deux connaissent mon dossier. Je suis poule mouillée et je m'assume. La deuxième me conseille de doubler mon dosage graduellement en espaçant mes doses de quelques heures. Histoire d'essayer d'avoir une montagne plutôt qu'un pic.

J'aime pas les pics de morphine et je serais curieuse d'en discuter avec tout bon junkie. Je soupçonne l'effet d'être réellement différent. Il n'y a pas de comparaison entre l'effet physique d'un opiacé sur quelqu'un avec de réelles douleurs physiques et sur un autre soignant ses douleurs psychiques de cette façon. Les experts n’arrêtent pas de le dire et je les crois...

Tester en de bonnes conditions

Je profite de la fin de semaine où l'homme n'est pas loin pour tester ce nouveau dosage et en étudier les effets. Comme je n'ai pas le choix de prendre ma deuxième dose alors qu'il accompagne la puce à la Gym, je croise les doigts pour trouver une montagne plutôt qu'un pic...

Arrive la première vague d'effets secondaires avec un mal de mer prononcé qui se fout que j'aie le deux pieds sur Terre. J'appelle une amie pour essayer de lui faire distraction.  Papoter aide à en surfer la première vague. Je réalise qu'il est bien plus facile d'en rire que de laisser monter les larmes qui mènent directement à l'angoisse et au désespoir.

L'homme et l'enfant rentrent enfin et même si j'ai le plancher qui tangue, je commence à ressentir un soulagement plus perceptible qu'à l'habitude. L'homme me dit: "Tu dois focuser sur le soulagement pour traverser les effets secondaires." Je sais qu'il a raison.

Mais c'est facile à dire quand c'est pas ton plancher qui tangue! Je suis obligée de rester allongée. En plus du mal de mer, il y a les étourdissements quand je suis debout. Et je me sens bizarre. Trop bizarre à mon goût. Pas agréablement bizarre. Certainement pas prête à prendre le volant en cet état.

Alors je reste immobile et j'essaie de prendre cette situation avec une certaine légèreté. Et  moins l'homme et l'enfant brassent d'air, moins ça tangue...

Trois quatre heures passent en ce manège et je finis par percevoir le fameux soulagement recherché. Une chaleur enrobe et étouffe petit à petit la douleur. Arrive alors ce moment étrange où la chaleur me fait penser à des fleurs. Un peu comme si elle enrobait de fleurs la douleur.

Une impression pas mal plus agréable que ce à quoi m'habitue mon nerf facial. Habituellement c'est une couronne d'épines, pas de fleurs, qui enrobe la douleur!

Avec cette étrange sensation s'apaise le mal de mer, il était temps. Encore trop d'étourdissements pour me lever mais il devient plus facile de me concentrer sur le soulagement.  Deux heures plus tard, je suis à 4/10 (et quelques poussières), c'est presque un miracle.

Les différents malaises des effets secondaires s'estompent assez pour que je puisse me lever. Je suis même assez en forme pour cuisiner avec l'homme. Presque un miracle. Si on oublie les cinq heures passées à grimper la montagne! J'en prends note.

L'homme aussi. Il me dit: "Ton corps va s' habituer à ce nouveau dosage. Comme il le fait à chaque fois. Chaque fois que tu dois l'habituer à la morphine, il réagit mais il finit par s' y faire!"

Le lendemain, je dois conduire, je préfère donc ne pas réitérer l'expérience. J'observe la douleur qui monte tout au long de la journée. Malgré les interdoses qui ne lui font plus rien. Je constate combien je peux en supporter l'intensité, jour après jour. Ce faisant, je me rends bien compte que je dois changer mon traitement de fond pour atteindre un meilleur soulagement.

Je réitère le jour suivant. Même si quelques malaises persistent, il semblerait que mon corps s'y habitue. Le plancher tangue moins. Les effets secondaires me semblent encore trop présents pour bien fonctionner à ma guise. J'en contrôle la frustration en appréciant l'effet sur la douleur.

Loin d'être effacée, la douleur est cependant moins violente qu'à son habitude. Mieux étouffée. Plus supportable. Elle laisse plus de place à l’esprit. L'homme m'encourage à persévérer. Il semblerait que je n'ai pas d'autre choix...

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